Ten years ago, Argentine Cardinal Jorge Mario Bergoglio was elected. Silere non possum talks about it with a cardinal.
🇮🇹 Jorge Mario Bergoglio: a dieci anni da quel "buonasera"
Le 13 mars 2013, le cardinal Jorge Mario Bergoglio a été élu au trône pétrinien. Lorsque le protodiacre Jean-Louis Tauran a prononcé ces mots, nous étions tous figés. Nous savions très bien ce que ce choix signifierait, et nous en avons eu la confirmation peu après, dès que François est apparu à la Loggia. Les visages des éminents cardinaux présents dans les loggias latérales étaient tout sourire, à l’exception de quelques-uns.
Beaucoup, cependant, ont compris immédiatement. Les habits refusés, la présence de Cláudio Hummes, et d’autres petits signes que seuls des yeux attentifs pouvaient remarquer. Le visage de Guido Marini était tiré, cette étole sur le bras. François a fait son apparition, d’abord très froid, puis il s’est laissé aller. La mozzetta et l’étole manquantes ont cependant attiré l’attention de beaucoup. Il ne s’agissait pas d’une extériorité, ni d’un lien avec la cérémonie. Il était clair que le cardinal argentin rejetait d’emblée tout ce qui l’avait précédé. Les gestes sont toujours porteurs d‘une expérience. Le jésuite Bergoglio a envoyé un message clair.
Après 10 ans
En me promenant dans les jardins du Vatican avec un cardinal, je me suis laissé aller à quelques questions quelque peu impertinentes. Je suis conscient que ce qui se passe au Conclave est sub secreto, mais je suis aussi convaincu que la lumière doit être faite sur ce qui s’est passé.
Et ce qui s’est passé dans cette sede vacante est absolument décisif. L’Église a fait un pas et ce pas porte en lui les attentes et les espoirs de beaucoup. Je lui demande : "Éminence, pourquoi en est-on arrivé là?" Il s’arrête, me regarde, semble vouloir trouver les mots justes: "Si vous essayez de comprendre, vous vous rendrez compte que le collège tout entier ne pourra pas vous donner de réponse. Ceux qui l’ont voulu avec conviction en sont encore fiers aujourd’hui et justifient tout ce qu’ils font. Même ce qui ne leur plaît pas. Ce n’est qu’en privé qu’ils se permettent quelques plaintes. Ceux qui ne voulaient pas de lui regardent autour d’eux avec perplexité. Le problème, c’est que plusieurs ont voté pour lui. Mais aujourd’hui, beaucoup en ont honte". Je rétorque: "Pourquoi l’avoir choisi?". Il a répondu: "Parce qu’ils l’ont présenté comme celui qui répondrait bien au sentiment qui nous habitait en 2013".
Dans mon esprit, j’essaie de rassembler tous les sentiments qui m’habitaient, mais ils n’étaient pas forcément les mêmes que ceux d’un cardinal aussi important, aussi décisif pour la Curie. Je pense à l’annonce de la démission de Saint Père Benoît XVI qui nous est parvenue alors que nous étions loin de Rome. Pendant les minutes qui ont suivi, je me suis réfugié dans la chapelle. J’ai senti un poids énorme. Comme si l’air me manquait. Je ne comprenais pas vraiment ce que le Seigneur disait à son Église.
Le cardinal a interrompu mes pensées et m’a fait comprendre que la démission de Benoît XVI avait vraiment fait du bruit dans le Sacré Collège: "Même ceux qui savaient n’en ont pris conscience qu’au moment où elle a été prononcée. En substance, on a espéré jusqu’à la fin que cela n’arriverait pas". Cet acte était donc non seulement grave, une énorme déchirure, mais il était aussi le prodromme d’un conclave "non organisé". Si en 2005, les membres du Sacré Collège ont eu tout le temps d’arriver à la Chapelle Sixtine avec une idée claire, en 2013, les choses ne sont pas aussi claires.
"Certains pourraient penser que, du 11 février au 13 mars, nous avons eu un mois pour réfléchir. En réalité, ce n’était pas le cas. Ce n’est que le 28 et les jours suivants que nous nous sommes réveillés de cette torpeur, en fait".
Il est clair que le Collège n’était pas prêt et, lors de ce Conclave, l’Esprit Saint a cédé la place au ressentiment, à la tristesse et aux grandes attentes de beaucoup. Pendant que les traditionalistes égrenaient leur chapelet, certains s’efforçaient d’élire leur candidat très spécial. Une candidature qui, heureusement, était tombée à l’eau en 2005.
“Vous savez, me confie-t-il, vous avez touché la corde sensible de tout le pontificat”. Je suis étonné par cette déclaration et je reste silencieux. “Qu’est-ce qui a guidé tout le Sacré Collège ? Quels sont les sentiments qui nous ont animés dans ces congrégations dont le Saint-Père parle souvent?” La marche s’arrête et je réalise que nous nous trouvons devant la statue de saint Michel Archange. Cette statue a été inaugurée par le pape François quelques mois après son élection. Benoît XVI a également participé à cette inauguration.
Le cardinal continue tandis que je fixe la statue du Saint Archange écrasant la tête du diable avec ses pieds.
«Dans ces congrégations, on parlait de scandales, de la Curie romaine, de la médiocrité de ces curiaux et de la médiocrité de l’Église qui donnait des scandales ! Un grand absent : Jésus-Christ». Ce sentiment a également émergé dans de nombreuses conversations avec certains de ses confrères. «Vous écrivez souvent que le pape agit di pancia/ avec ses tripes. Mais nous aussi, nous avons agi di pancia lors de ce Conclave», souligne-t-il.
Nous marchons en silence.
«Après tout, poursuit-il, beaucoup d’entre nous ne connaissaient pas Bergoglio et le cardinal hondurien Maradiaga l’a beaucoup parrainé. Une fois de plus, la Secrétairerie d’État a joué un rôle important. J’ai avoué à un confrère que je pensais à Angelo Scola. Il m’a répondu que non. L’Eglise n’a pas besoin d’Italiens maintenant».
«Au fond, c’est un sentiment anti-curial, anti-italien qui a prévalu et c’est ce qui en a résulté», ai-je fait remarquer à mon interlocuteur.
«Mais quelque chose d’autre a également joué un rôle. Peut-être pour la première fois dans l’histoire des Conclaves».
Je l’interromps: «Quoi, Éminence ?».
«Celle que vous mettez en avant : la presse », répond-il. Tout ce que la presse écrivait à l’époque des Congrégations influençait terriblement les sentiments des Princes de l’Eglise».
En substance, les analyses des journaux sont devenues plus importantes pour le Collège que l’Évangile et la mission que le Christ a confiée à son Église. Alors que le soleil commence à se coucher, je ressens beaucoup de tristesse et d’amertume dans les paroles de ce cardinal. Il est clair qu’il y a aussi une sorte de culpabilité qui émerge au souvenir de ces jours, de ces heures. Si la presse joue un rôle important dans le conclave et que l’Esprit Saint ne le fait pas, il est évident que quelque chose ne fonctionne pas. L’Église n’a pas pour vocation de plaire ou de se faire applaudir par les gens. Certes, les années qui ont précédé la démission de Benoît XVI ont été un foyer de scandales, mais fallait-il en arriver là ?
«Plusieurs fois, nous avons dit au Saint-Père de changer de secrétaire d’État. Tant de fois. Cela aurait été la solution à beaucoup de problèmes. Bien sûr, cela aurait dû être suivi d’une série de choix pas faciles. Mais Bertone devait être remplacé», déplore le cardinal.
Je demande: “Pourquoi cela ne s’est-il pas produit?” “Parce que Benoît était allemand. Ce n’est que si vous comprenez la mentalité d’un Allemand, professeur de surcroît, que vous comprendrez qu’un tel choix n’était pas facile pour lui. Lorsque je lui ai dit cela à la fin d’une audience, il s’est levé et m’a dit que nous nous reverrions à la prochaine audience programmée“, répond-il.
Certes, Benoît XVI était un homme doux et son regard souvent exempt des luttes de pouvoir qui animent souvent ceux qui vivent entre ces murs. Ce que j’ai toujours dit, cependant, c’est que le problème ne réside pas dans les structures, mais dans les personnes. Ici comme au-delà du Tibre, on entend souvent les gens dire : «Au Vatican, mieux vaut ne pas y aller, sinon on perd la foi». Beaucoup d’ecclésiastiques le disent aussi. C’est regrettable, parce qu’il s’agit du gouvernement de toute l’Église et qu’il devrait être l’exemple d’une réalité parfaite. Si les choses ne fonctionnent pas, s’il y a de la corruption, ce sont les gens qui l’apportent. Trop souvent, en effet, nous nous sommes laissés ‘entraîner’ par la logique du monde et ce qui se passe dans les palais des gouvernements, nous l’avons aussi apporté ici.
La diabolisation du sacerdoce
"Cela a conduit de nombreux laïcs à considérer cet État comme un lieu de pouvoir et d’argent », dit le cardinal. « Il s’agit d’une dizaine d’années au cours desquelles François a mis en place un récit. Ce récit est le suivant : les prêtres sont mauvais, les prêtres commettent des abus, les prêtres font des scandales, et il propose, comme solution naturelle, le remplacement par des laïcs".
Récemment encore, le pape a déclaré que depuis que des femmes sont chargées de certaines fonctions dans l’État de la Cité du Vatican, les choses fonctionnent mieux. Mais est-ce vraiment le cas ?
«Il suffit de regarder le travail des prêtres ou des évêques qui ont travaillé avec dévouement, silence et abnégation. Ils sont nombreux et ont marqué l’histoire de l’Église et de l’État du pape. Malheureusement, même en ce qui concerne ces événements, si des laïcs commettent des abus de pouvoir ou volent de l’argent, cela a certainement moins de résonance que si c’est un prêtre qui le fait», poursuit-il.
Aujourd’hui, nous assistons à un renversement de la situation. Ce sont les laïcs qui font la leçon aux prêtres. Récemment, aux États-Unis, une opération contre les prêtres a été rendue publique. Des laïcs puissants espionnaient et traquaient les prêtres. «Bien sûr, dit le cardinal, vous êtes-vous demandé qui est derrière ces opérations?" Je reste un peu silencieux. Il s’agit clairement d’une question rhétorique et j’attends la réponse qu’il veut me donner. «Il s’agit de laïcs qui ont l’ambition de remplir des rôles», précise-t-il.
Je fais remarquer à mon interlocuteur qu’il s’agit de violations très graves des droits de l’homme et que, de plus, personne ne peut garantir l’ «authenticité» de ces faits. Au contraire, il apparaît toujours qu’il y a un intérêt derrière, comme dans le cas d’aujourd’hui. Le droit canonique a toujours placé au centre le salus animarum et les droits des personnes. La formation des prêtres est une affaire sérieuse, mais on ne peut pas penser agir en pharisiens. Leur vie privée et affective n’est certainement pas le problème. Ce qui se passe en privé doit nécessairement rester privé. Le problème, c’est leur foi.
«Aujourd’hui, nous assistons certainement à une sorte de persécution de ceux qui prennent leur éducation au sérieux. Ceux qui veulent suivre des cours bien faits sont taxés de carriéristes. Les séminaristes ne peuvent pas rester trop longtemps à l’église pour prier, sinon ils sont étiquetés comme des "administrateurs du sacré". Imaginez un peu ce qui se passe s’ils consacrent du temps aux célébrations liturgiques ».
Après dix ans de pontificat, même s’il est difficile de l’admettre, l’Église a changé. François a changé beaucoup de choses et il l’a fait de la pire des manières.
«Ce que beaucoup reprochent à Benoît XVI, c’est précisément cela. Pendant ces huit années, il a été trop timide et tout ce qu’il pouvait faire, il ne l’a pas fait», déplore le cardinal.
Je suis convaincu, et je le confie à mon interlocuteur, qu’un pontife comme Benoît XVI avec un caractère comme celui de François aurait certainement renouvelé l’Église, mais dans un sens positif. Je m’entend reprocher: «Avec des si et des mais, on ne fait pas l’histoire».
Alors que nous nous remémorons les moments magnifiques et significatifs qui ont caractérisé l’Année sacerdotale, je soulève une question qui fait l’objet de nombreuses revendications: «Mais l’Église est-elle vraiment confrontée à une crise des vocations ? Ou y a-t-il autre chose?»
Un sourire se dessine sur son visage. Ces derniers jours, nous avons célébré l’ordination sacerdotale de plusieurs jeunes hommes. Nous repensons tous deux à ce moment. À la fin de cette célébration, nous sommes retournés au réfectoire et avons chanté Ecce Sacerdos Magnus.
«Il est certain qu’il y a une diminution, résultat de ce à quoi la société elle-même est confrontée. Mais le problème ne se limite pas à cela. Beaucoup de jeunes entrent au séminaire avec des expériences très solides derrière eux. Ils recherchent une Église sérieuse, une Église qui sait donner des réponses, une Église qui revient aux sources. Mais en entrant au séminaire, ils trouvent des formateurs qui sont imprégnés d’idéologie. Ils ne jugent cette vocation que d’un point de vue extérieur. Comme François nous l’a appris : cette ‘rigidité fantôme’» .
Je me laisse entraîner dans la discussion et l’interromps: «Mais savez-vous quand un jeune est rigide ? Quel est le critère ?»
«Bien sûr, répond-il, chaque fois qu’il a un chapelet à la main, qu’il met une soutane ou une chemise coréenne (c'est la chemise blanche, sans col, que l'ecclésiastique porte sous sa soutane), qu’il préfère le latin et qu’il croit que le ministère ordonné est une chose sérieuse».
En substance, on n’accorde aucune importance à la formation spirituelle, on s’arrête à la surface. On ne cherche pas à savoir pourquoi tel candidat a telle spiritualité, telle formation, etc. Trop souvent, donc, les jeunes séminaristes doivent se battre avec des personnes qui ont reçu leur formation dans les années qui ont immédiatement suivi le Concile œcuménique Vatican II et qui sont encore plus rancunières et en colère aujourd’hui qu’elles ne l’étaient hier : leurs attentes, en fait, n’ont pas donné grand-chose.
Nombreux sont les prêtres, surtout les jeunes, qui, au cours des dix dernières années, ont reçu de véritables réprimandes de la part des laïcs à l’intérieur des sacristies. Le sentiment de haine envers les prêtres s’est lentement répandu et ceux qui devraient être aimés et soutenus par le peuple saint de Dieu sont devenus une cible facile.
"Pensez donc, quand il y a des conférences de presse du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie - me confiait le cardinal - l’Irlandais Kevin Joseph Farrell dit aux prêtres dans les bureaux de ne pas y assister. Il veut des laïcs, parce qu’il dit que cela donne une meilleure impression".
Cette atmosphère est vraiment surréaliste et mon visage s’assombrit en pensant aux nombreux sacrifices que beaucoup de prêtres font chaque jour. Tant ceux qui passent leur vie en voiture pour se rendre dans les paroisses plus dispersées qui leur sont confiées, que ceux qui, dans cet état, accomplissent chaque jour leur travail avec dévouement, au mépris total de leurs supérieurs. On parle souvent de la « crise des quarante ans ». François l’écarte en parlant de carriérisme, mais il ne comprend pas du tout que le problème est plus profond. Le prêtre, très souvent, voit dans cette promotion, dans cette position, dans ce rôle, une « confirmation » de ses capacités, une récompense pour ses efforts, un accomplissement. C’est une question d’humanité. Si les supérieurs ne s’occupent pas de l’humanité du prêtre, de la relation personnelle, le prêtre cherchera nécessairement les moyens de survivre par lui-même. Très souvent, il suffit de peu de choses : la reconnaissance de l’Église, l’affection de la communauté et la relation avec les frères. Ce sont des moyens valables pour surmonter les moments les plus difficiles du ministère. Mais trop souvent, ce sont précisément ces «points» qui créent la souffrance.
Désacralisation de la papauté
"On croyait qu’après le Concile, l’histoire de l’Église connaîtrait un jour ensoleillé -déclarait Saint Paul VI en 1972 - au lieu de cela, ce fut un jour de nuages, de tempête, d’obscurité, de recherche, d’incertitude".
Cette incertitude, nous la voyons aujourd’hui, plus que jamais au cours de ce pontificat. François a clairement changé ce qu’est la papauté. Dans une société qui n’a plus de repères, la seule institution qui était ferme, inébranlable, une étoile de comète, c’était justement la papauté.
«Prier, c’est comme envoyer de bonnes ondes. Que l’on soit chrétien ou musulman, c’est la même chose . Que vous suiviez ou non les préceptes de l’Évangile, c’est très bien, tout est relatif », a dit le cardinal.
Je pense à l’incertitude doctrinale, mais aussi à la présence physique. Il existe de nombreuses "fonctions" que les gens se précipitent pour occuper. La papauté est la seule "fonction", appelons-la ainsi, qui se termine par la mort. Il y en a peu d’autres aujourd’hui qui maintiennent ce cap. Benoît XVI a porté un coup à cette "certitude". Par sa renonciation, il a certainement rendu le successeur de Pierre "moins divin".
À la suite de cet acte, un homme est entré dans cette fonction qui, «depuis le bout du monde», donnait l’impression de détester tout ce qui entoure cette institution, mais incarnait parfaitement le rôle de Roi. François, ces dernières années, a montré qu’il n’avait aucun scrupule à gouverner, bien au contraire. En matière d’économie et d’organisation, Bergoglio est à l’avant-garde et parvient à mettre la main sur une infinité de choses. En revanche, lorsqu’il s’agit de manifester sa sollicitude pastorale, le pape fait preuve d’une certaine impatience. Il ne semble pas aimer beaucoup de choses.
Il y a eu de nombreuses occasions où ses gestes ont fait scandale. C’est précisément de cette foi dont François a parlé dans son homélie du 3 mai 2018 à l’intérieur de la Domus Santa Marta. La foi simple, la foi qui se transmet dans la famille. Ce sont les gestes qui, souvent, au cours de ces dix années, ont fait sortir beaucoup de gens d’une sorte de « torpeur ».
La presse a toujours créé la division. Soit on est pour le Pape, soit on est contre. Il n’y a pas de compromis. Il n’y a pas de critique respectueuse. Tout ce qui a guidé le récit de ces journalistes jusqu’en 2013 est désormais banni. Malheur à la critique du Pape. La presse l’a toujours présenté comme celui qui écoute tout le monde, miséricordieux, proche des gens. Celui qui écoute tout le monde et reçoit tout le monde n’a pourtant pas jugé bon de répondre, devant ses cardinaux, à certaines perplexités apparues à propos de l’exhortation apostolique Amoris Letitia en 2016.
Certes, ces questions lui ont probablement été posées par des cardinaux que le Pape ne considère pas comme intelligents, comme il l’a déclaré à la Radio télévision Suisse il y a quelques jours. Mais qui sont ces cardinaux intelligents? Sont-ils seulement ceux qui disent au pontife ce qu’il veut entendre ?
Le Sacré Collège dépossédé
Si en 2016 il s’agissait d’un groupe (il n’y avait pas que les courageux signataires mais bien plus), en 2022 les choses sont devenues beaucoup plus inquiétantes. En août, François a convoqué un consistoire au cours duquel il a voulu expliquer au Sacré Collège sa réforme de la Curie. En juin, il avait en effet publié la Constitution Praedicate Evangelium.
«Mais nous n’avions pas du tout l’intention de participer à une lectio», confie le cardinal. «Tout d’abord, il faut dire que cette réunion devait être convoquée avant la publication, et non après. L’esprit dans lequel nous y sommes allés est donc facilement compréhensible. Nous y sommes allés avec l’espoir de pouvoir discuter et mettre en évidence certaines perplexités. Vous avez par exemple affirmé à plusieurs reprises que les laïcs n’étaient pas compétents. Ghirlanda, qui a rejoint le Collège lors de ce même consistoire, n’a pas encore expliqué d’où il tenait ces idées. Pratiquement tout le monde, à part ceux qui sont occupés à saluer le Roi, a souligné que la question du pouvoir des laïcs est une question sérieuse et qu’on ne peut pas écrire une Constitution Apostolique qui considère la question résolue, sans avoir discuté de cette question auparavant ».
Lors de cette réunion aussi, François a été confronté à des problèmes de comportement évidents. Il a tenté par tous les moyens de faire taire les cardinaux. Il les a divisés en groupes linguistiques, certains discours n’ont pas été prononcés, d’autres l’ont été. Un délire. Tout cela pour éviter que la salle ne s’adresse franchement au pape. Bergoglio n’aime pas la confrontation avec ceux qui critiquent ses choix. Il ne le supporte pas. Cette année, il a même évité les exercices spirituels pour ne pas avoir à passer toute la semaine à Ariccia avec tous les collaborateurs qui lui reprochaient cette Constitution.
«Peut-on parler de synodalité si seuls ceux qui demandent le sacerdoce pour les femmes ou l’élimination du célibat ont une voix?» me demande le cardinal. En effet, même en ce qui concerne le Synode, force est de constater que les choses se passent comme Benoît XVI l’a dit à ses prêtres romains. Oui, quand le pape recevait encore ses prêtres et les considérait avec amour comme «ses prêtres».
Ratzinger, le 14 février 2013, disait que le Concile avait un récit médiatique complètement déformé. Aujourd’hui, malheureusement, la même chose, si ce n’est pire, se produit avec le Synode. Les journaux n’accordent aucun espace à ceux qui sont critiques, et ceux qui font des déclarations contre l’Église sont même sponsorisés par les évêques et les cardinaux qui veulent frapper François. L’un d’entre eux est le cardinal jésuite Jean-Claude Hollerich.
«Le risque est que nous perdions tellement de temps à courir après le monde, la société et les gens que nous ne nous rendons pas compte que les gens perdent la foi», déplore le cardinal.
Alors que nous passons devant Santa Marta, je lui demande: «Comment allons-nous sortir de ce synode, Éminence?»
« Je crois, répond-il, qu’il n’en sortira rien de marquant. De la fumée, rien de plus. Mais le but est atteint : créer la confusion. François est convaincu de tout cela et c’est ce que la philosophie marxiste a toujours affirmé. Le renouveau n’est possible qu’après la confusion, après le conflit. Puis la pacification».
Je reste silencieux et je garde à l’esprit les nombreux moments où, au cours de ces dix années, il y a eu de la confusion, des conflits dans l’Église. En même temps, cependant, je m’efforce de me souvenir des moments de paix. Même les récentes funérailles du Saint Père Benoît XVI ont semé la discorde et ont conduit de nombreuses personnes à porter des jugements très sévères sur François.
«Certains ont ouvert les yeux. Nous étions sur le parvis. Alors que le cercueil du Pape était emporté, François a enlevé ses vêtements liturgiques. J’ai regardé les visages de beaucoup de mes frères dans l’épiscopat qui étaient venus pour Benoît. Cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas assisté à des messes papales. Cette image les a refroidis. De nombreux membres du Collège ont également levé le nez. Beaucoup de ceux que François a lui-même nommés. Devant la mort, même devant le pire ennemi, bien des barrières devraient tomber».
Alors qu’en ces heures, certains évêques parlent d’un pape qui fait tomber les murs, l’impression, malheureusement, est tout autre. François semble avoir exacerbé les divisions, et la question liturgique n’en est qu’une parmi d’autres.
Même au sein de la Curie, me confesse le cardinal, il y a un sentiment de dépression et de découragement. «Il y a beaucoup de prêtres qui demandent à quitter la Secrétairerie d’État et d’autres Dicastères. Ils sont fatigués. Ils ne se sentent pas valorisés et le climat, à l’intérieur, est devenu irrespirable».
En 2013, François, quelques mois après avoir été élu au trône pétrinien, a donné une interview à Eugenio Scalfari dans laquelle il a déclaré : « Les dirigeants de l’Église ont souvent été narcissiques, flattés et mal excités par leurs courtisans. La cour est la lèpre de la papauté ».
Le cardinal me rappelle ces mots alors que nous approchons de la fin de notre entretien. « Je ne saurais dire si cette description concerne certains curiaux », déplore-t-il. « En tout cas, au cours de ces dix années, nous avons vu que, malheureusement, cela le concerne ». Les courtisans de Santa Marta sont nombreux. Mais contrairement à ce qui se passait auparavant, ils ne peuvent pas non plus être considérés comme sûrs. À tout moment, en effet, ils peuvent être victimes du narcissisme qui afflige le «Pape».
Les exemples sont nombreux et nous sommes ouverts à l’examen de cas individuels. De saints prêtres et évêques qui ont vu leur vie changer du jour au lendemain.
Leur seul tort : « Avoir dit au pape ce qu’il en était, ou avoir marché sur les plates-bandes de quelqu’un qui était bien plus courtisan qu’eux », dit le cardinal en secouant la tête.
Déjà en 2013, c’est clair, François confiait ses rancœurs et ses échecs à la presse (à la pire presse). Comme toujours, en effet, chaque critique, chaque « licenciement », cache un mécontentement, une sorte de rancune personnelle, une expérience en somme.
Jorge Mario Bergoglio, malheureusement, est arrivé ici au Vatican, il y a dix ans, avec un bagage de déceptions et de ressentiments à l’égard de cette «machine». Mais en même temps, quelqu’un a bien joué ses cartes et aujourd’hui, après dix longues années, nous sommes encore en train de panser nos plaies.
Silere non possum